Manifesto
📜 Notre combat en 2024
Depuis mon ouvrage paru en 1998 « Y a-t-il un pilote dans l’image, six propositions pour lutter contre les dangers des images », je milite pour un usage raisonné des technologies liées aux écrans. Mais mon inquiétude aujourd’hui est que les dangers bien réels qu’ils présentent suscitent des réponses qui se résument en définitive à une seule chose, la réduction des temps d’écran. Croit-on vraiment que transformer le conseil actuellement donné aux parents « Pas d’écran avant trois ans » par cet autre conseil « Pas d’écran avant six ans » va transformer leurs attitudes éducatives dans les premières années de la vie de leurs rejetons, puis au cours de leur croissance ultérieure ? Et pense-t-on vraiment que c’est en interdisant le smartphone avant 15 ans qu’on va augmenter les capacités d’imagination des enfants, dont rien ne prouve d’ailleurs qu’elles soient réduites par les écrans, alors que c’est même le contraire qui a été montré pour ce qui concerne les jeux vidéo. Plutôt que de vouloir supprimer les écrans de la vie de nos enfants, ne vaudrait-il pas mieux réfléchir d’abord à ce par quoi nous allons les remplacer ? Je vois hélas dans certaines préconisations actuelles le funeste penchant à vouloir orienter nos enfants vers « l’utile ». Moins d’écran, ce serait pour eux plus d’attention aux matières susceptible d’assurer leur compétitivité sur le marché du travail.
Bien sûr, cela est important, et une démocratie se doit d’être créatrice de biens matériels et de technologies innovantes pour assurer le bien-être de ses citoyens et la défense de ses valeurs. Mais parallèlement, elles ne sont vivables que si elles développent le plutôt possible chez les enfants les compétences citoyennes que sont la participation active de tous à l’examen et au questionnement sur ce qui les concernent. Aujourd’hui, ce qui est en jeu, c’est la baisse générale dans l’éducation des éléments indispensables à la survie des démocraties, tels que la capacité de penser par soi-même, de critiquer la tradition et de comprendre les états émotionnels et mentaux d’autrui. Et ces apprentissages peuvent s’appuyer sur un usage raisonné et accompagné des écrans, même si d’autres moyens sont évidemment disponibles. Cela nécessite bien entendu d’y associer largement les enseignants en gardant toujours à l’esprit que les outils numériques peuvent aussi être mis au service de la création, de la construction de l’identité et de la subjectivité, et bien évidemment de la découverte de soi et d’autrui à travers les tâches collaboratives. A chaque pédagogue de choisir les outils avec lesquels il se sent le plus familier. Il est essentiel également de s’intéresser au moyen d’assister les familles dans la tâche de développer chez leurs enfants la pensée critique et la capacité d’imaginer l’expérience de l’autre, mais aussi de permettre à ceux-ci de bénéficier d’activités diversifiées, notamment de plein air, qui leur permettent de développer leurs solidarités : c’est évidemment le rôle de la politique de la ville. Quant à la régulation des plateformes, l’Europe est très largement en tête dans ce domaine, même si beaucoup reste à faire.
Le fait que les balises 3-6-9-12 aient reçues en 2013 à Washington le prestigieux Award du Family Online Safety Institute m’a confirmé dans le bien-fondé de la démarche que j’ai initiée en 2008, d’abord avec ces balises elles-mêmes, puis avec la création de l’association qui lui correspond, et aujourd’hui avec l’élargissement de ces balises symbolisé par notre nouveau logo : 3-6-9-12+.
Encore un mot : nous rejoignons beaucoup de critiques de ceux qui voient dans la consommation excessive d’écran par les jeunes une source de problèmes, mais nous pensons qu’ils ne font que la moitié du chemin. L’autre moitié consiste à voir les avantages que certains en tirent par un usage accompagné, et à élaborer les moyens qui permettront de proposer de façon attractive d’autres activités aux enfants de telle façon que les qualités dont certains font preuves avec les écrans pourront être valorisées, et que d’autres qualités qui en sont absentes pourront être cultivées.
Depuis des années nous proposons à ceux qui ne voient que les aspects problématiques des écrans de réfléchir avec nous à ces questions : ils nous répondent en nous disant que nous ne voyons pas l’apocalypse numérique venir, ou pire encore, ils nous accusent d’y contribuer. Nous craignons que leurs propos uniquement répressifs nous en préparent une autre.
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Serge Tisseron
Psychiatre, membre de l’Académie des Technologies, docteur en psychologie habilité à diriger des recherches en Sciences Humaines Cliniques, chercheur associé à l’Université de Paris. Site : http://www.sergetisseron.com
🏆 Distinction Internationale : Award 2013 du FOSI
Le Family Online Safety Institute est une organisation internationale à but non lucratif qui travaille à rendre le monde plus sûr en ligne pour les enfants et leurs familles. FOSI réunit des leaders dans l’industrie, les gouvernements et les secteurs à but non lucratif capables de collaborer et d’innover de nouvelles solutions dans le domaine de la sécurité en ligne. Grâce à la recherche, ressources, événements et projets spéciaux, FOSI favorise une culture de la responsabilité en ligne et encourage un sentiment de citoyenneté numérique pour tous.
Avec des tables rondes, des forums et des conférences dans le monde entier, FOSI joue un rôle important dans la conduite du débat international.
Le 6 novembre 2013, Serge Tisseron a reçu des mains du président du FOSI, à Washington, dans l’amphithéâtre du Ronald Reagan Building and International Trade Center, devant plusieurs centaines de personnes, la plus haute distinction de cet organisme pour sa campagne des balises 3-6-9-12.