27 janvier 2020

L’exposition aux écrans chez les jeunes enfants est-elle à l’origine de l’apparition de troubles primaires du langage ?

Une étude sortie très récemment (janvier 2020) dans le Bulletin épidémiologique hebdomadaire, signée par plusieurs universitaires de Rennes (Manon Collet, Bertrand Gagnière, Chloé Rousseau, Anthony Chapron, Laure Fiquet et Chystèle Certain) a fait beaucoup de bruit dans les médias. Elle est une adaptation d’un article original paru en 2019 dans la revue Acta Pædiatrica (Collet M., Gagnière B., Rousseau C., Chapron A., Fiquet L., Certain C., “Case-control study found that primary language disorders were associated with screen exposure”. Acta Paediatrica. 2019;108:1103-1109). Cette étude de cas-témoins, menée en Ille-et-Vilaine, avait pour objectif d’évaluer le lien entre l’exposition des enfants aux écrans (interactifs ou non) et les troubles primaires du langage. Selon la chercheuse en neurosciences Marie-Hélène Grosbras, interrogée par le HuffPost : « cette étude a le mérite de tester avec des modèles statistiques appropriés l’hypothèse de l’effet des écrans sur un domaine particulier ».

L’étude a concerné 276 enfants, âgés de 3 ans et demi à 6 ans et demi. 167 étaient diagnostiqués avec des troubles primaires du langage, tandis que 109 n’en présentaient aucun. Des questionnaires ont été relayés par des médecins et orthophonistes et complétés par les parents. Cette étude a permis de montrer que les enfants exposés aux écrans le matin, avant de partir à l’école, avaient trois fois plus de risques de développer des troubles primaires du langage. Plus important encore, si cette exposition matinale est associée au fait de discuter rarement (ou jamais) avec les parents du contenu des écrans (les images visionnées), les enfants seraient six fois plus à risque de développer des troubles primaires du langage.

« La variable “exposition aux écrans le matin avant l’école” reste statistiquement liée aux troubles primaires du langage, indépendamment des autres variables. L’exposition moyenne aux écrans le matin était de 20 minutes pour les enfants des deux groupes. On peut dire que le fait même qu’ils soient exposés à des écrans le matin, plutôt que la durée de cette exposition, favorise l’apparition de troubles du langage. Cela pourrait s’expliquer par le fait qu’être exposé à des écrans le matin est une activité épuisante qui rend l’enfant moins apte à acquérir des connaissances et à apprendre pour le reste de la journée. » (https://hal-univ-rennes1.archives-ouvertes.fr/hal-01954032/document)

Cette étude est néanmoins critiquée par certains chercheurs qui pointent le manque d’évaluation initiale de la parole et du langage de chaque enfant, ainsi que les biais possibles liés à une collecte des données effectuée auprès des parents, par le questionnaire. De plus, l’étude ayant été effectuée pendant les mois d’été, il est possible que les habitudes des enfants n’aient pas été les mêmes que pendant une période scolaire. Enfin, il est toujours très important de rappeler la grande différence entre « corrélation » et « causalité » : l’étude présente une corrélation entre l’exposition aux écrans le matin et l’apparition de troubles du langage. Il n’y a donc pas de lien de cause à effet, ce qui signifie que ces troubles peuvent également survenir à cause d’autres événements.

Toutefois, cette étude peut rappeler aux parents et aux professionnels ce que nous répétons depuis toujours à l’association 3-6-9-12 : même s’il est nécessaire de ne pas laisser un enfant de moins de 3 ans devant un écran non-interactif, le plus important est que la consommation d’écrans chez l’enfant (à tout âge) soit un moment limité dans le temps et fixé à des horaires précis dans la journée (pas le matin avant d’aller à l’école, et pas non plus le soir avant de se coucher ou pendant les temps de repas, moments conviviaux pendant lesquels l’échange familial doit être favorisé). De plus, il est essentiel que l’enfant puisse être accompagné par ses parents sur les images qu’il voit à travers les écrans. En effet, c’est en partageant avec lui ce contenu et en mettant du sens sur les images visionnées que le parent aidera le plus l’enfant dans sa compréhension du monde, tout au long de son développement.

Ainsi, nous pouvons insister ici sur le fait que ce n’est pas tant la durée d’exposition devant les écrans qui doit être pensée mais plutôt les périodes d’exposition, et le fait que l’écran ne fasse pas barrière dans la relation enfant-parent. Faisons en sorte que les jeunes ne soient pas laissés seuls face aux images et qu’ils puissent partager avec nous ce qu’ils aiment regarder, comme nous aimons partager avec eux tout ce qui nous passionne.

Olivier Duris est psychologue clinicien à l’Hôpital de Jour André Boulloche (CEREP-Phymentin) et dans l’Unité d’Accompagnement PREAUT (UDAP). Il est également Chargé d’Enseignement à l’Université Paris Diderot et à l’Ecole des Psychologues Praticiens, et exerce en cabinet libéral. https://www.olivierduris.fr/ 

   
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Olivier Duris

Psychologue clinicien. Docteur en Psychopathologie et Psychanalyse.

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