27 septembre 2019

Le « trouble des jeux vidéo » fait son entrée dans la catégorisation des addictions de l’OMS

Lors de sa dernière assemblée, l’Organisation Mondiale de la Santé a entériné la décision d’introduire un diagnostic de « Gaming Disorder » dans sa prochaine Classification Internationale des Maladies (la CIM-11). À partir de 2022, date à laquelle la CIM-11 entrera en vigueur, il sera donc possible d’être diagnostiqué comme « addict aux jeux vidéo », puisque ce trouble est classé dans l’ensemble des addictions sans substance. Dans un article publié tout récemment (Billieux et al., 2019), certains des auteurs issus du groupe de réflexion de l’OMS, ont clarifié qu’il convenait de distinguer des critères de jeu pathologique, d’une pratique des joueurs passionnés.
Dans le but d’éviter une surpathologisation, les auteurs recommandent donc de prendre comme repère un modèle dualiste.Selon celui-ci, les critères habituellement centraux en matière d’addiction (sevrage, conflit et rechute ou perte de contrôle) sont accompagnés de critères plus périphériques (comme le fait de n’être concentré que sur un seul sujet, le besoin de chercher toujours plus de jeu et un sentiment d’euphorie pendant les phases de jeu). En effet, selon les auteurs, le fait de ne pas tenir compte de cette distinction entre critères aurait comme conséquence de mélanger trop arbitrairement des joueurs à problèmes et des joueurs sains. Le diagnostic proposé par la CIM-11 n’inclut alors pas certains des critères périphériques. Par exemple, la notion de tolérance est difficile à appliquer, puisqu’il existe des tas de raisons différentes pour jouer et que celles-ci peuvent varier d’une session à l’autre. Ce facteur se retrouve donc facilement chez un joueur sain également. L’OMS ne se base alors que sur les critères centraux pour définir un comportement vidéoludique pathologique. Enfin, pour assurer l’évaluation, il est nécessaire que les symptômes s’accompagnent d’une incapacité pour le joueur à remplir ses obligations du quotidien pendant douze mois.
Bien qu’il soit rassurant que telle vision modérée puisse exister, il n’en demeure pas moins que la décision de l’OMS peut laisser pantois. En effet, jusqu’à présent, il n’était nullement nécessaire de bénéficier d’un tel diagnostic pour pouvoir travailler en thérapie avec la population des joueurs en souffrance. Assurément, je considère comme plus riche et plus cohérent d’envisager la pratique excessive de jeux vidéo comme étant le symptôme et non le trouble lui-même. La crainte de surpathologisation du quotidien reste bien présente, notamment due à une lecture erronnéede ces critères, elle-même basée sur une méconnaissance du fonctionnement des jeux vidéo et de leurs us et coutumes. Une pratique excessive de jeu vidéo est alors à comprendre comme un signal du joueur qu’il souffre d’une mauvaise estime de lui-même et qu’il tente de combler ce manque de reconnaissance. Un tel diagnostic risque non seulement de stigmatiser les joueurs, mais de cristalliser derechef des situations familiales dans lesquelles la discussion à propos des écrans n’est déjà pas aisée. Si la question de la souffrance ne doit pas être minimisée, il importe de prendre en considération autant celle du joueur que celle de son entourage. En effet, c’est très fréquemment les proches qui manifestent cette préoccupation et ce mal-être.
 
Billieux, J., Flayelle, M., Rumpf, HJ.et al. Curr Addict Rep (2019). https://doi.org/10.1007/s40429-019-00259-x
 

Il travaille en Suisse sur les thématiques d’usages excessif des écrans, notamment avec des familles. Il utilise le jeu vidéo comme outil thérapeutique et garde un œil attentif sur l’actualité du média (nouveautés, tendances, impacts, etc.). En parallèle à ses activités professionnels, il dirige bénévolement un site de critiques de jeux (www.semperludo.com), ainsi qu’une association de joueurs à l’échelle nationale (www.gamingfederation.ch), à travers laquelle ils visent une pratique du jeu vidéo responsable.
Twitter: @niels_weber, @semperludo, @GamingFed

 

 

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Niels Weber

Psychologue-Psychothérapeute FSP systémique, spécialisé en hyper-connectivité et thérapie de famille.

Il travaille en Suisse sur les thématiques d'usages excessif des écrans, notamment avec des familles. Il utilise le jeu vidéo comme outil thérapeutique et garde un œil attentif sur l'actualité du média (nouveautés, tendances, impacts, etc.). En parallèle à ses activités professionnels, il dirige bénévolement un site de critiques de jeux (www.semperludo.com), ainsi qu'une association de joueurs à l'échelle nationale (www.gamingfederation.ch), à travers laquelle ils visent une pratique du jeu vidéo responsable.


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