Le jeu vidéo entre au musée !
A la question : « Le jeu vidéo est-il un art ? », les avis divergent, au moins dans le grand public. Mais il semblerait que les institutions soient en train de trancher. Rappelons à cet égard que la Cour suprême des Etats Unis a officiellement reconnu le jeu vidéo comme un art à part entière en 2011, et qu’il a fait son entrée dans les collections du MOMA (Museum Of Modern Art) de New-York en 2012. Le Grand Palais à Paris avait aussi présenté en 2012 « Une brève histoire du jeu vidéo ». En 2016 les personnages de « World of Warcraft : Légion » s’affichait en format XXL sur la façade de la vénérable Bibliothèque Nationale de France, qui d’ailleurs organise le dépôt légal des jeux vidéo en vue de la conservation du patrimoine. Et c’est tout récemment le très respectable Victoria and Albert Museum de Londres qui a exposé « Videogames : Design / Play / Disrupt », une exposition attachée à la fois au processus créatif dans le développement d’une sélection de jeux vidéo, et aux problématiques sociétales posées par l’univers du jeu vidéo.
Autour d’une quinzaine de jeux vidéo contemporains, le parcours explorait tout d’abord le travail des créateurs, depuis leurs références visuelles, cinématographiques ou littéraires, jusqu’à la fabrication d’un univers propre à chaque jeu. Essais graphiques, story-boards, travail de réalisation en motion capture* pour certains jeux : cette exposition rendait tout d’abord hommage au jeu vidéo en tant qu’objet artistique.
Venaient ensuite des questions sociétales, éthiques et philosophiques : la place des femmes dans l’univers du jeu vidéo (tant du côté de leur représentation que de leur représentativité dans ce secteur professionnel), la place de la diversité culturelle et ethnique, la place de la violence, celle du sexe et de l’identité sexuelle, le jeu vidéo comme instrument de propagande ou au contraire de subversion, les modèles économiques… Discussions, propositions, mise en valeur de pratiques innovantes pour secouer un milieu qui, s’il véhicule une image disruptive, est en fait profondément (voire tristement…) fidèle à une classique distribution des rôles.
Curieusement dans le cadre d’un musée dédié à l’histoire des arts, l’impasse était faite sur l’histoire du jeu vidéo… Les jeux choisis étaient rattachés directement – et uniquement – à des références cinématographiques ou picturales classiques. Pourtant l’histoire du jeu vidéo est aujourd’hui suffisamment riche pour être pourvoyeuse elle aussi de références et d’influences. Chaque jeu nouveau s’inscrit aussi dans cette histoire en train de s’écrire et est relié d’une manière ou d’une autre à ceux qui l’ont précédé.
On peut enfin regretter que la sélection n’ait intégré, hormis « Splatoon », aucun jeu vidéo grand public. Dans ce domaine-là aussi, il y aurait donc une césure entre culture populaire et culture élitiste. Est-ce parce que le jeu vidéo demeure en quête de sa légitimité artistique ?
*Cette technique permet d’enregistrer les mouvements corporels et les mimiques émotionnelles d’acteurs réels grâce à une multitude de capteurs, de manière à modéliser ces mouvements et à les implémenter sur des personnages numériques animés afin d’obtenir un rendu précis et réaliste.
Médecin directeur de l’Hôpital de Jour pour Enfants André Boulloche à Paris, elle travaille plus particulièrement sur les relations que les publics jeunes entretiennent avec les écrans, la communication avec les jeunes enfants, et l’autisme.
