17 février 2021

Interview de Sonia Winter

Sonia Winter, membre des Petits Laboratoires d’Empathie, a soutenu sa thèse de doctorat de psychanalyse et psychopathologie, dirigée par Serge Tisseron, le 14 décembre 2020 à l’Université de Paris. Le sujet de thèse portait sur la subjectivation et l’empathie dans la création de films : comment sapproprier son histoire et se reconstruire après un traumatisme.

 

1 – Quelle est la particularité de la création de films dans le champ thérapeutique ?

De nombreux ouvrages abordent la relation du cinéma avec la psyché, mais peu traitent de la fabrication d’un film dans un but thérapeutique. Cette pratique art-thérapique est encore assez peu répandue, malgré l’omniprésence de la vidéo dans notre quotidien ; sans doute parce que son développement est récent comparé à d’autres arts. Il est en effet lié à l’émergence des nouvelles technologies et à une démocratisation de ces outils, c’est-à-dire leur accessibilité et leur facilité d’utilisation. Le « médiateur-film », au centre de la relation et du projet thérapeutique, induit un travail spécifique : dans et sur l’espace-temps ; autour de différentes fonctions techniques et étapes d’élaboration ; à l’aide d’une narration basée sur un langage audio-visuel qui permet de contourner puis de revenir au verbal. En facilitant une prise de distance et un travail sur le point de vue, la création de film relance un regard empathique sur ses propres expériences, sur autrui et sur le monde. Ainsi le fait de réaliser soi-même un film favorise, par exemple, une reconstruction personnelle ; une ré-identification nécessaire et utile à tout âge quelles que soient nos histoires de vie ; ou une ré-humanisation dans le cas de ruptures sociales ou d’événements dramatiques.

 

2 – En quoi ce médiateur peut-il favoriser la reconstruction de soi ?

Les vidéos sur les réseaux sociaux prouvent la nécessité de se raconter et de sentir une résonance entre sa propre histoire et celle des autres. La construction du film fait un écho symbolique à la (re)construction de soi, avec notamment une impression de contrôle de la réalité. Ces vidéos peuvent donc avoir un effet thérapeutique sans que cela soit recherché, ou dans certaines circonstances, elles peuvent au contraire avoir un effet destructeur, car il ne suffit pas de produire des images pour aller mieux. Pour pouvoir s’approprier son discours, son histoire, ou découvrir en quoi il s’agit d’une expression personnelle, la création doit être encadrée, accompagnée, notamment par une parole et un regard bienveillants qui puissent faire retour.

 

3 –  Comment la création de films peut-elle aider des personnes souffrant de post-traumatisme ?

Le travail autour de la reconstruction de soi est nécessaire dans les situations post-traumatiques, notamment parce qu’une partie de soi a été meurtrie. Quelque chose s’est rompu ou arrêté et le tissage narratif aide à reconstituer une continuité identitaire, historique, temporelle, etc. La création cinématographique peut ainsi relancer le mouvement psychique et animer ce qui a été gelé. Elle invite également à travailler dans une temporalité assez longue, propice à un remaniement, à une évolution, et à une maturation psychique.

 

 

Serge Tisseron est psychiatre, docteur en psychologie habilité à diriger des recherches, membre de l’Académie des technologies, chercheur associé à l’Université de Paris (CRPMS).

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Association 3-6-9-12

Un regroupement de praticiens de terrain, de chercheurs et d’universitaires, qui souhaitent participer à une éducation du public aux écrans et aux outils numériques en nous appuyant sur les balises 3-6-9-12 imaginées par Serge Tisseron.