27 septembre 2019

EDITO – Septembre 2019

A l’association 3/6/9/12, nous insistons beaucoup sur la complémentarité de la culture de l’image et de la culture du livre. Nous savons aujourd’hui qu’il existe au moins huit formes d’intelligence mais chacun d’entre nous n’en développe en général pas plus de trois ou quatre. Il en existe pourtant deux que tout être humain possède à un degré important : l’intelligence visio-spatiale qui nous permet de repérer rapidement dans un paysage ou dans une image ce qui est important pour nous, et l’intelligence verbale qui nous permet de communiquer avec nos semblables en utilisant une langue partagée. Sans la première de ces deux formes d’intelligence, nos lointains ancêtres n’auraient jamais pu retrouver leur chemin après s’être éloignés de leur abri sous roche pour aller à la chasse, et sans la seconde, ils n’auraient pas pu expliquer ce qu’ils avaient trouvé en route aux membres de leur groupe restés dans leur camp. Tout être humain est habité à la fois par le désir et le plaisir de parler, et par le désir et le plaisir de faire des images. L’avenir n’appartient ni aux enfants qui développent une intelligence verbale exclusive, ni à ceux qui développent une intelligence imagée exclusive. Il appartient à ceux qui sauront passer de l’une à l’autre, c’est-à-dire qui seront à la fois capables de construire un récit autour d’une image ou d’un ensemble d’images, et tout autant capable de fabriquer une image ou un ensemble d’images à partir d’une narration.

 

Les épreuves de français du brevet élémentaire 2019 semblent avoir tiré les conséquences de cette évidence. Cette discipline proposait en effet aux candidats de traiter à leur choix un sujet d’imagination ou un sujet de réflexion. Mais les deux invitaient les candidats à croiser leur réflexion sur les images et sur les textes.

Le sujet d’imagination invitait en effet à fabriquer le récit par lequel Robert Doisneau pourrait raconter une image évoquant les jeunes dans son enfance.

 

« Devenu adulte, un des enfants de la photographie de Robert Doisneau raconte, comme Albert Camus, les jeux de son enfance. Il évoque la scène représentée sur la photographie.
Vous imaginerez son récit en montrant comment le jeu permet aux enfants, dans un moment de joie partagée, de transformer la réalité qui les entoure.
Vous choisirez d’écrire votre récit à la première ou à la troisième personne. »

 

Quant au sujet de réflexion, il invitait les élèves à évoquer la possibilité offerte à chacun de vivre une vie fictive par l’intermédiaire tout aussi bien de la littérature que du cinéma, et pourquoi pas des jeux vidéo.

 

« La littérature, le cinéma et les autres arts permettent de découvrir la vie de personnages fictifs ou réels. Que peut vous apporter cette découverte ?
Vous développerez votre point de vue en prenant appui sur des exemples précis, issus de votre culture personnelle et des œuvres étudiées lors de votre scolarité. »

 

Il manquait, me direz-vous, à cet examen, la possibilité de créer une image à partir d’un récit. Il est vrai que c’est une épreuve difficile à mettre en place lors d’un examen national. En revanche, il serait bien dommage que les enseignants n’invitent pas les enfants, dès la maternelle, et jusqu’à la fin du lycée, à construire des images à partir de leur propre narration, ou de narrations qu’ils pourraient emprunter à des camarades, voire à des auteurs enseignés pendant l’année.

Ce n’est pas la seule révolution scolaire que nécessitent aujourd’hui les changements du monde, mais elle en fait partie !

Apprendre, lire, écrire, compter, et comprendre les images, tels devraient être les basiques de l’éducation du XXIème siècle.

 

 

 

Serge Tisseron est psychiatre, docteur en psychologie habilité à diriger des recherches, membre de l’Académie des technologies, chercheur associé à l’Université Paris VII Denis Diderot (CRPMS).

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Serge Tisseron

Psychiatre, membre de l’Académie des Technologies, docteur en psychologie habilité à diriger des recherches en Sciences Humaines Cliniques, chercheur associé à l’Université de Paris.