EDITO – L’Académie de médecine, l’Académie des sciences et l’académie des technologies s’engagent conjointement dans un appel à une vigilance raisonnée autour des écrans
Le 9 avril 2019, un groupe de travail constitué à l’initiative de l’Académie des sciences, de l’académie de médecine et de l’académie des technologies a présenté un rapport conjoint sur les enfants, les familles et les écrans, sous-titré « Appel à une vigilance raisonnée sur les technologies numériques ».
Pas d’écran avant 3 ans, cela concerne aussi les parents
Cet appel évoque d’abord les effets négatifs aujourd’hui bien connus des écrans sur le développement psychomoteur et relationnel du jeune enfant, ainsi que sur ses capacités d’apprentissage. Il est précisé qu’il est toutefois difficile de départager ce que serait, d’une part, la possible nocivité intrinsèque des écrans pour les jeunes enfants, et d’autre part des pratiques parentales inadaptées dont la gestion des écrans ne serait qu’un aspect parmi d’autres.
Enfin, il est rappelé que si mettre un jeune enfant devant un écran peut nuire à son développement psychomoteur et affectif, l’utilisation par les parents de leur propre téléphone mobile, pendant qu’ils s’occupent de lui, l’est tout autant : nos enfants ont besoin de notre regard, n’interposons pas notre téléphone mobile entre eux et nous !
Parler d’usage pathologique des écrans plutôt que d’« addiction »
Il est indiqué que la notion d’addiction doit être abordée avec précaution dans le cas des écrans car elle répond à une définition médicale précise, réservée à des pathologies particulièrement lourdes. En outre, ces situations extrêmes sont souvent associées à des troubles psychiatriques tels que dépression, anxiété, phobies ou troubles de la personnalité.
Réduire les disparités sociales dans les usages des technologies numériques
Tous les enfants et adolescents ne sont pas placés dans des contextes familiaux, culturels et sociaux équivalents et le risque d’un mauvais usage des écrans apparait d’autant plus préoccupant que l’enfant est en situation de vulnérabilité : l’absence ou l’insécurité de l’emploi, les difficultés matérielles de la famille, une trop grande distance aux services éducatifs, sociaux ou médicaux, un contexte culturel appauvri, sont autant de facteurs qui peuvent rendre difficile, voire inaccessible, la compréhension du numérique, l’éducation aux usages des écrans, la distance critique et l’indispensable autorégulation.
La fracture entre ceux qui sont préparés à bénéficier des apports du numérique et ceux pour lesquels celui-ci peut aggraver des difficultés préexistantes constitue aujourd’hui un problème de justice sociale autant que de santé publique.
Des stratégies inquiétantes des fabricants de jeux vidéo pour retenir les joueurs
Les risques de désinhibition de la communication et de harcèlement, facilités par la possibilité de l’anonymat sur les réseaux sociaux, sont dénoncées depuis plusieurs années. Ils sont en outre aggravé par les stratégies visant à retenir l’attention des utilisateurs et à en obtenir toujours plus d’informations susceptibles d’alimenter les immenses bases de données des fournisseurs d’accès. Mais l’évolution des jeux vidéo est aujourd’hui un nouveau sujet d’inquiétude. Certains éditeurs emploient en effet les services de psychologues et de spécialistes des neurosciences, pour y introduire des procédés qui retiennent les joueurs le plus longtemps possible. Ces procédés sont identiques à ceux qui ont fait leurs preuves dans les jeux de hasard et d’argent, et certains sont utilisés dans des jeux dont la clientèle privilégiée est constituée de mineurs. Il est donc essentiel que les fabricants informent mieux les utilisateurs et leurs parents de ces stratégies et de leurs dangers.
Eviter les écrans le soir
Leur lumière, en particulier la composante bleue, accroit la vigilance en inhibant la sécrétion de mélatonine, hormone clé de l’endormissement. Il en résulte des troubles du sommeil qui peuvent entrainer une fatigue, des troubles de l’attention et affecter les résultats scolaires et la vie sociale. Il convient d’éviter les écrans le soir et la nuit. Ici encore, le rôle des parents est capital. Ne laissons jamais un adolescent emporter son téléphone mobile dans sa chambre : achetons-lui un réveil, et faisons pareil pour lui donner le bon exemple !
En conclusion, les Académies rappellent le rôle essentiel des parents pour le bon usage des écrans et la construction de l’enfant, aussi bien en tant qu’autorité éducatrice que comme modèle d’imitation. L’objectif n’est pas uniquement de limiter l’accès aux écrans, sauf, dans une large mesure, chez les plus jeunes enfants, mais de toujours en accompagner la découverte et l’utilisation. Un avis décidément bien en accord avec les balises 3/6/9/12, qui s’organisent depuis 2008 autour des trois principes : alternance, accompagnement et apprentissage de l’auto-régulation.
Serge Tisseron est psychiatre, docteur en psychologie habilité à diriger des recherches, membre de l’Académie des technologies, chercheur associé à l’Université Paris VII Denis Diderot (CRPMS).
