17 février 2021

EDITO – Février 2021

Lootboxes, vous avez dit lootboxes ?

 

Les jeux en réseaux sont connus depuis longtemps pour augmenter le risque de jeu pathologique. Mais depuis quelques années, un nouveau phénomène préoccupant est apparu : les jeux vidéo intègrent des stratégies de jeux de hasard et d’argent. Cette évolution a été rendue possible par l’évolution du modèle économique du jeu vidéo, dont l’exemple le plus célèbre est le formidable succès du jeu Fortnite.

 

Jusqu’en 2018, le joueur achetait pour une somme fixe un jeu censé lui procurer du plaisir, un peu comme un lecteur achète un livre dont il attend également le plaisir de sa lecture. Le jeu dit « Free to Play », c’est-à-dire jouable gratuitement sur Internet en réseau, a bouleversé ce modèle économique en organisant cinq stratégies « de rétention » des usagers qui ont fait leurs preuves dans les jeux de hasard et d’argent.

 

Le plus connu de ces procédés est incontestablement le FoMO (pour Fear of Missing Out), ou peur de manquer des événements exceptionnels. Mais il en existe plusieurs autres, dont la motivation par l’incertitude (Motivating ­Uncertainty Effect). Elle utilise les fameuses lootboxes, ou coffres à butin. Il s’agit de boîtes virtuelles achetées par le joueur avec du vrai argent sans qu’il en connaisse le contenu. Elles peuvent contenir, ou non, des objets virtuels considérés comme précieux dont le joueur dote son personnage (appelé avatar) dans le jeu. Il peut s’agir de la possibilité de faire marcher ou danser l‘avatar d’une certaine façon qui le différencie de la majorité des autres, mais il s’agit le plus souvent d’une apparence appelée « skin », comme par exemple le costume de Dark Vador dans un jeu vidéo Star wars.

 

Depuis leur introduction, les lootboxes posent des problèmes éthiques et législatifs qui sont résolus différemment selon les pays. Néanmoins, la Cour Internationale de Justice siégeant à La Haye a finalement estimé que les lootboxes du jeu Fifa représentent bel et bien une forme de jeu de hasard.

 

L’entité juridique indépendante KSA (Kansspelautoriteit), qui régule et contrôle les jeux de hasard aux Pays-Bas, avait porté plainte contre Electronic Arts en 2019. Plus spécifiquement, contre les paquets recharge (Packs) de son jeu Fifa. Pour améliorer son équipe dans le mode Ultimate Team, il est possible d’acheter des lootboxes au contenu aléatoire et obtenir par exemple des joueurs plus performants. Puisque lesdits joueurs affichent des statistiques dont la valeur change et qu’ils peuvent parfois être échangés, EA contrevenait à la loi néerlandaise sur les jeux de hasard.

 

Dès 2018, la KSA avait investigué le modèle économique des lootboxes à la suite de nombreuses plaintes de la part de joueurs, de parents et d’association de protection de la jeunesse. À la suite de son enquête, la KSA avait demandé aux studios et éditeurs de l’industrie de faire preuve de prudence et se soumettre à la loi en vigueur sur les jeux de hasard aux Pays-Bas. La plupart des membres de l’industrie adaptèrent leur contenu en conséquence… sauf Electronic Arts.

 

Aujourd’hui, Electronic Arts s’expose à une amende maximale de 5 millions d’euros puisqu’il n’avait pas de licence lui permettant d’exploiter un jeu de hasard. Le verdict écrit notamment : « la KSA considère que cette violation de la loi est particulièrement préoccupante, car bon nombre d’enfants et de jeunes adultes ont accès aux Packs dans le jeu Fifa. Ils sont donc encore plus vulnérables à développer une addiction aux jeux de hasard ».

 

Si le couperet est tombé seulement deux ans plus tard, c’est que le processus judiciaire demande beaucoup de temps, mais aussi de preuves solides. Le concept des lootboxes est encore « nouveau » au sens de la loi, donc tout verdict peut entraîner une jurisprudence : l’ensemble des arrêts et des jugements qui sont rendus par les Cours et les Tribunaux sont donc essentiels.

 

 

 

Cerulli-Harms, A. et al. (2020, juillet). Loot boxes in online games and their effect on consumers, in particular young consumers. Consulté le 25 septembre 2020 sur https://www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/STUD/2020/652727/IPOL_STU(2020)652727_EN.pdf

 

 

 

 

 

Serge Tisseron est psychiatre, docteur en psychologie habilité à diriger des recherches, membre de l’Académie des technologies, chercheur associé à l’Université de Paris (CRPMS).

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Serge Tisseron

Psychiatre, membre de l’Académie des Technologies, docteur en psychologie habilité à diriger des recherches en Sciences Humaines Cliniques, chercheur associé à l’Université de Paris.