20 mai 2018

EDITO : « Combien de fois avez-vous regardé votre enfant aujourd’hui ? »

A un moment où, en France, les médias numériques sont rendus responsables de troubles de la relation et de la communication chez certains enfants, au point d’envisager la création d’une nouvelle catégorie de pathologie, il est urgent de rappeler que les parents sont un modèle pour leur enfant, et que celui-ci ne fait d’abord que les imiter.

Bien sûr, les mouvements colorés ont le pouvoir de capturer le regard humain. Mais si la nature a pourvu le petit d’homme de cette particularité, c’est pour qu’il tourne son attention vers ce qui est naturellement le plus coloré, le plus brillant et le plus mobile dans un visage humain, à savoir les yeux. Et si l’enfant ne rencontre pas le regard d’un adulte, le risque est grand qu’il le remplace par un écran ! Deux autres facteurs jouent également un rôle important dans la façon dont beaucoup de jeunes enfants se scotchent aux écrans. Le premier est l’imitation : les enfants sont de formidables imitateurs de l’intérêt de leurs parents pour les écrans ! Le second est l’attention conjointe qui pousse l’enfant, dès 9 mois, à tourner les yeux, et son désir, vers ce que regarde l’adulte. Comment pourrait-il alors ne pas se tourner vers les écrans que regardent ses parents ?

Mais comment les enfants eux-mêmes vivent-ils cette situation ? Mal, semble-t-il. Les statistiques le confirment : 45 % des enfants de 8-13 ans trouvent que leurs parents consultent trop leur téléphone, et 27 % rêvent même de le leur confisquer1 ! Que diraient-ils, à l’âge d’un ou deux ans, s’ils savaient parler ?

C’est pourquoi, à l’association 3-6-9-12, nous conseillons d’abord aux parents, aux grands-parents et aux autres personnes responsables, d’être vigilants dans leur propre usage des écrans. Ils doivent apprendre à utiliser eux-mêmes les appareils technologiques de manière ciblée, et non par ennui, à ne pas manger devant les écrans, et à utiliser les écrans sans manger devant. Et il est important qu’ils privilégient pour eux-mêmes les expériences réelles avec d’autres personnes faisant appel à tous leurs sens. Le conseil de modérer l’usage des écrans par les enfants ne peut venir qu’ensuite, sans oublier qu’il doit s’accompagner d’autres sur les bons usages. La plupart du temps les enfants ignorent en effet comment gérer leurs données et celles des autres, comment faire face au cyber-harcèlement ou encore au flux d’informations sur internet. C’est pourquoi 3-6-9-12 s’est fixé pour objectif d’aider tous les adultes à accompagner les enfants dans l’utilisation des médias.

Mais tout cela ne peut marcher que s’ils apprennent d’abord à communiquer mieux et plus souvent avec leurs enfants. En Allemagne, une campagne d’affiches pose simplement cette question : « Combien de fois avez-vous regardé votre enfant aujourd’hui ? »

S.T.

1 AVG Technologies, Sondage réalisé auprès de 6 117 parents et enfants.

Serge Tisseron est psychiatre, docteur en psychologie habilité à diriger des recherches, membre de l’Académie des technologies, chercheur associé à l’Université Paris VII Denis Diderot (CRPMS).

photo de l'auteur

Association 3-6-9-12

Un regroupement de praticiens de terrain, de chercheurs et d’universitaires, qui souhaitent participer à une éducation du public aux écrans et aux outils numériques en nous appuyant sur les balises 3-6-9-12 imaginées par Serge Tisseron.