Regard sur la jeunesse iranienne et la révolution qu’elle traverse à travers « Les graines du figuier sauvage » de Mohammad Rasoulof
Iman, un honnête avocat iranien, est promu au tribunal révolutionnaire de Téhéran, où il doit juger de façon expéditive et potentiellement condamner à mort tout opposant au régime. Marié et père de deux jeunes filles, on lui ordonne de cacher les informations à ses amis et à sa famille, qui pourraient être ciblés pour exercer des pressions sur lui. Le 13 septembre 2022, la mort de Mahsa Amini marque le début de manifestations dans tout le pays pendant lesquelles les femmes se filment en train de brûler leur voile ou de couper leurs cheveux, c’est le début du mouvement « Femme, Vie, Liberté ». Rezvan et Sana, les deux jeunes filles bien élevées de l’avocat, comprennent à travers leur téléphone portable que ce qui se passe dans la rue, dans leurs écoles, pour leurs amies, n’est pas ce qui est relayé par la propagande du régime à travers les médias et incarné par leur père. Secrètement, comme beaucoup d’adolescentes, elles consultent sous la couette, serrées l’une contre l’autre, les images des réseaux sociaux et découvrent la brutalité du monde qui les entoure.
Au-delà de la dimension très politique de ce film, par ailleurs saisissant par son intensité, son rythme et sa justesse de ton, ce huis clos familial nous parle d’une vie de famille avec deux jeunes filles, un couple parental soucieux du bien-être de leurs filles, du moins le pense-t-on, et du lien qu’elles entretiennent entre le dedans et le dehors. La force de cette fiction réside dans l’équilibre permanent et instable de ce qui se passe entre l’intérieur et l’extérieur. Que peut-on cacher chez soi et taire à l’extérieur ? Qu’est-ce qui doit rester dehors et ne surtout pas rentrer ? Comment faire le lien entre les deux et qui croire quand le secret fait loi partout ?
Questions d’autant plus présentes dans la tête du spectateur quand on connait les conditions de tournage du film et la condamnation à 8 ans de prison de son réalisateur Mohammad Rasoulof.
Entre le dedans et le dehors, au cœur de la transformation d’une jeune fille, le téléphone est un outil politique.
Rezvan est à l’âge où les adolescentes s’émancipent de leur famille et se construisent une identité propre, souvent en opposition avec leur milieu familial. Grâce aux réseaux sociaux elle va, avec sa sœur Sana, avoir une preuve en images que ce qui est dit chez elle et incarné par son père, est un mensonge et une aliénation pour la femme. Les vraies images de cette révolution diffusées sur le portable la jeune fille font l’effet d’une effraction chez le spectateur qui est plongé subitement dans la réalité de l’évènement. La fiction à l’écran n’en n’est pas vraiment une, pense-t-on. Et de s’imaginer être à la place de cette jeune fille qui voit débouler l’horreur du dehors dans sa chambre rose avec les doudous de son enfance sur son lit. Pas d’autre choix que d’être saisi par ces images qui imposent une vérité dans une ambiance où, par ailleurs, plus rien n’est certain. Najmeh, la mère de la famille, tente de conjuguer les croyances autour de ses filles et de son mari pour revenir comme avant, dans un monde où les choses étaient bien séparées et où la connaissance ne venait que de la bouche des parents, mais c’est impossible. Rien n’arrête la volonté et le désir de ces jeunes filles de plonger en dehors d’elles-mêmes et de leurs familles, dans cette nouvelle société où la femme pourrait avoir une parole et peut-être un jour une place.
Outil de libération, d’information et/ou de manipulation, le téléphone est décidemment au cœur des transformations aussi bien intimes que politiques. On le sait, me direz-vous. Mais on le vit intensément en allant voir “Les graines du figuier sauvage”.