17 janvier 2018

EDITORIAL – Jeux vidéo : addiction ou pas ?

Tout dépend des arguments employés. Si on considère que l’existence d’un syndrome de sevrage physiologique et d’un risque majeur de rechute sont des éléments déterminants dans l’addiction, le jeu vidéo n’en fait pas partie. Mais si on considère que l’élément déterminant consiste dans la difficulté de certains joueurs à limiter leur consommation, et dans la priorité donnée aux jeux sur d’autres activités, il est acceptable de ranger certains joueurs dans la catégorie de malades souffrants d’une addiction. C’est ce qu’on appelle le gaming disorder.
Mais comme les médicaments sont le traitement le plus couramment utilisé dans le monde contre les addictions, il y a un grand danger à ce que nos enfants qui jouent un peu trop se voient alors prescrire diverses pilules, dont les effets sont encore largement inconnus : les rats sur lesquels elles ont été testées ne jouent pas aux jeux vidéo ! C’est pourquoi il est essentiel de rappeler trois distinctions.
 

Addiction ne veut pas dire addictogène.

La première distinction concerne la différence entre une activité jugée addictogène, c’est-à-dire susceptible de provoquer une addiction, et une activité qui peut sembler addictive, mais sans que son support puisse être qualifié d’addictogène. En effet, il a été montré que les personnes qui ont perdu le contrôle des impulsions, que ce soit sous l’effet d’un trouble mental ou de l’abus de substances toxiques, au premier rang desquelles le tabac, peuvent développer diverses addictions à des produits ou à des objets qui ne sont pas en eux-mêmes addictogènes. A défaut d’une telle distinction, il est à craindre que de nombreux parents s’inquiètent que leur enfant qui joue beaucoup – et pas forcément trop – développe une addiction.
 

Enfants et adultes, deux situations bien différentes

La seconde distinction qui va devoir être prise en compte concerne la différence entre les enfants et les adultes. Les bases neurologiques du contrôle des impulsions s’établissent à la fin de l’adolescence, et l’ado normal ne peut pas s’empêcher de faire ce qui lui fait plaisir, même s’il sait que c’est problématique pour lui. Puis, vers 16-17 ans et au plus tard à 25 ans, la maturation cérébrale achevée permet aux jeunes adultes de contrôler leurs impulsions et de limiter leur consommation. Le gaming disorder ne devrait donc concerner que les adultes.
 

Se soucier des causes et pas seulement des conséquences

Un troisième élément à prendre en compte est l’existence de comportements de fuite par rapport à des problèmes que les joueurs n’envisagent pas de pouvoir affronter. Aujourd’hui, cet élément est largement pris en compte par les psychothérapeutes. Mais si le diagnostic d’addiction venait à être confirmé, la tentation serait grande de ne pas chercher à comprendre de quelle fuite il s’agit… une situation de harcèlement scolaire par exemple.
Si la pratique pathologique du jeu vidéo est reconnue comme une addiction, et que ces trois distinctions ne sont pas prises en comptes, nos enfants risquent d’être rapidement écrasées par la prescription chimiothérapique.

S.T.

Serge Tisseron est psychiatre, docteur en psychologie habilité à diriger des recherches, membre de l’Académie des technologies, chercheur associé à l’Université Paris VII Denis Diderot (CRPMS).

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Association 3-6-9-12

Un regroupement de praticiens de terrain, de chercheurs et d’universitaires, qui souhaitent participer à une éducation du public aux écrans et aux outils numériques en nous appuyant sur les balises 3-6-9-12 imaginées par Serge Tisseron.